L'architecture: ordres et désordres, témoins du temps qui passe

XII ° siècle

Lieu d'implantation

Première chose à faire pour construire l’abbatiale : choisir un emplacement (cirque de Clausonne, vu depuis la ligne de crête au dessus du Rocher de la Vierge). Au tout début de l’abbaye, il y a l’installation de quelques moines qui ont repéré, puis retenu le site pour différentes raisons : l’isolement qui est important pour la relation mystique, le potentiel en terme de bois et de pâturages, la possibilité de captage d’une source, la distance aux autres abbayes de l’ordre, la facilité de passage…

Ces quelques précurseurs bâtissent alors rapidement, en bois, une construction sommaire pour manger et dormir, et un oratoire pour les prières. Ils se mettent tout de suite à défricher autour, et à semer pour assurer rapidement la subsistance d’une petite communauté.

Quand le lieu permet l’accueil d’un nombre suffisant de membres, on construit en pierres l’abbaye définitive à côté de la provisoire…

 

C’est le maître d’œuvre roman qui officie. On en a parlé : il connaît les métiers, les secrets des bâtisseurs. Il a d'ailleurs en général une formation de tailleur de pierre. Il est entouré d’exécutants : ses ouvriers seront les moines.

 

Les moines vont réaliser d’abord l’accès, puis des bâtiments provisoires, et le captage d’une source (ici celle qui est à l’ouest de l’abbaye, vers le rocher de la Vierge)…

 

Le plan de l’Abbaye est classique : l’église abbatiale, au Sud, a la forme de la croix latine.

Au Nord se trouvait le cloître bordé des bâtiments conventuels disparus. Mais les pierres qui restent racontent l’histoire de l’édifice…

Les fondateurs de 1185 commencent par drainer, et bâtissent des fondations. Ici un contrefort, celui près de la porte des convers.

 

L’Abbaye est élevée en pierres taillées, appareillées de la façon caractéristique des constructions du XII° siècle que nous avons observée: appareillage en différents lits d’assises réguliers.

 

Les différents types de taille des pierres, présentes sur le site de Clausonne, permettent d’identifier des époques de construction distinctes.

 

La face taillée façon XII° siècle est assez lissée, régulière, marquée par le ciseau : on la dirait parfois « peignée ». Remarquer la taille précise de la doucine et de la saillie du corbeau…

A l'inverse, la pierre est plus granuleuse lorsqu’elle est taillée façon XVIII° siècle : elle est bouchardée, c'est-à-dire martelée à la boucharde, la finition était plus facile et surtout plus rapide.

 

Au XII° les moines bâtisseurs assemblent avec soin les moellons taillés avec du mortier de chaux.  L’épaisseur des joints est minimisée pour maintenir la hauteur d'assise régulière de chaque lit.

 

Entre les deux parements intérieur et extérieur des murs, les maçons bloquent la construction avec des chutes de pierres mal taillées ou fendues, ou de vulgaires pierres, le tout noyé dans le mortier de chaux.

 

Les pierres taillées et appareillées ont une telle esthétique qu’on ne recouvre pas les murs d’un parement ou d’un enduit.

La nef

La nef est la partie longitudinale la plus importante de l’église abbatiale, celle qui accueille les fidèles, les moines convers, les laïcs. Son entrée donne sur le couchant.

 

La façade Ouest, ancienne entrée de la nef de l'abbatiale, qu'on imagine à partir du dessin.

Sur la façade extérieure Nord, la porte des convers, l'armarium et la porte des moines témoignent de l'ouverture de l'abbatiale sur le cloître : on est toujours dans la construction XII° siècle.

 

Anciennement protégé par la galerie du cloître, l’armarium contenait les ouvrages religieux, sacrés, des moines de l’abbaye.

Dans sa partie basse, on remarque les feuillures, qui prouvent que des portes protégeaient les précieux « codex ».

 

Ici la voûte appareillée de la porte des convers, construite au XII° siècle. Par-là, passaient les aides qui  ne pouvaient accéder aux parties les plus sacrées de l'église.

De l’abbatiale, ils sortaient par cette porte des convers dans le cloître. Celui-ci était entouré des bâtiments conventuels, qui ont aujourd’hui tous disparus.

 

Dans l’angle Sud-Est de l’ancien cloître, à travers le mur du transept disparu ou enfoui sur la gauche de l’armarium, apparaît l'ancienne porte des moines. Ils l’utilisaient pour pénétrer du cloître dans l’abbatiale.

Le transept

Sorte de nef transversale qui vient couper de façon perpendiculaire la nef principale, le transept "sépare" le coeur de la nef.

Ouverture originelle du transept Nord, avec son appareillage caractéristique du XII° siècle. Derrière, l’emplacement des anciens bâtiments conventuels, disparus.

De l'autre côté, mise à jour des soubassements du transept sud, toujours construction XII°.

Le choeur

Le choeur est l’endroit le plus sacré de l’abbatiale.

 Sur la photo ci-dessus, le chœur du XII° et la croisée du transept, vus depuis la nef.

Dans l'épaisseur des murs Nord et Sud du chœur, des niches rectangulaires servaient au rangement du mobilier sacré ou d'endroit iconographique ou d'adoration.

A l’Est du chœur, deux baies géminées en plein cintre s’ouvraient dans le chevet. On devine encore les bases.

 Nombreux sont les éléments lapidaires provenant de ces baies du XII°.

 

 

Témoins lapidaires

Des voussoirs taillés formaient l’ensemble de la voûte en berceau.

Des corbeaux formaient une corniche qui servait de base à la voûte au XII° siècle.

D’autres corbeaux, toujours taillés au XII° siècle, sont simplement arrondis…

L'appui chanfreiné d'une des baies du choeur.

Un pied d'ouverture, taillé typiquement façon XII°.

Cette pierre de meneaux se trouvait entre deux ouvertures, comme le montrent les deux chanfreins latéraux. Il peut s’agir de la base du trumeau qui se dressait entre les deux ouvertures romanes à l’est du chœur…

Cette double colonnette du XII° siècle était bâtie en pilastre contre un mur.

A l’arrière de la double colonne, deux rainures étaient creusées pour permettre une fixation solide par le mortier contre le mur sur lequel elle s’appuyait.

Au dessus de la porte d’entrée un tympan muet, austère et non décoré, datant du XII° siècle …

 

Près des fondations du mur sud du chœur, un caveau dallé contenait les restes de 7 personnes datées de la fin du XII° siècle : sans doute les premiers moines fondateurs...

Au dessus, une inhumation en pleine terre, coincée au dessus d'un drain et des tombes du XII°, date de la fin du XIII°.

 

 

Ainsi fut construite l’abbaye au XII°. Sa voûte en berceau résonna jusqu’en 1573 des chants liturgiques… Nous n’avons plus d’archives de cette période médiévale, et seules les pierres peuvent aujourd’hui nous raconter cette histoire...

XVI° siècle: première destruction

En 1573 l'abbaye est détruite, jusqu'au début du XVIII° siècle, rien ne semble avoir été reconstruit.

Sur la photo, la détérioration des pierres sous l'effet de la chaleur d'un incendie, peut être celui de 1573.

XVIII° siècle

En 1712 une première reconstruction a lieu, et les pierres de la ruine servent de matériaux de base : pierres taillées réemployées dans un mur d’époque ultérieure.

Sur cette ancienne vue de la façade nord, on repère les parties datant du XII° siècle, à gauche, des parties réemployées au XVIII° : à partir de la fente verticale à droite de la porte des Convers, et l’intérieur de l’armarium comblé…

 

 

Là encore on distingue donc très nettement les élévations originelles du XII° de celles des constructions du XVIII°, par le réemploi irrégulier des anciens moellons.

 

 

On réutilise ces pierres taillées sans leur donner de lits d’assises réguliers, ni de régularité dans la construction.

 

VIV° siècle

Au XVIII° siècle, l’ancienne nef a été destinée à l’usage agricole. Au dessus de la porte des convers, une grande voûte carrée, dotée d’un pilier central, a été construite pour abriter du bétail.

Le sol de cette écurie a été construit bien au dessus du niveau originel du sol de l’Abbaye du XII° siècle : plus d’un mètre de déblais se trouve sous les dalles de l’écurie. Les pierres formant le sol sont plus irrégulières, moins confortables que dans l’église reconstruite à côté... 

Le pilier central de l’écurie (remarquer la taille façon XVIII°), sur lequel venaient s’appuyer quatre arceaux de voûte de l’écurie construite dans les années 1700..

Ancrage de la voûte de l’écurie au milieu de l’appareillage XII° du mur Nord, lors de la reconstruction au XVIII°.

L'ancien portail d'entrée du XII° siècle a été partiellement bouché pour laisser place à une porte plus petite utilisée lors du réemploi de la nef en corps de ferme, pour accéder à la remise.

Le linteau de cette porte ouverte dans l’ancien portail est une pierre du XII° retaillée (dessous) et réemployée.

Au XIX°siècle, l'abbaye va connaître quelques changements. La mairie y trouvera ses locaux, ainsi que la salle d’école pour les enfants de la commune, dans l’ancien presbytère, au dessus de l’écurie voûtée. 

Linteau en pierre de 1802, lors de la création de la mairie de Clausonne au début du XIX° siècle, utilisé pour la porte de l’habitation.

Ici lecture de l'abbaye au XIX° : au milieu de l'ancienne nef de l'abbatiale, le sol grossièrement pavé (au premier plan), est marqué par ce pilier central taillé du XVIII° siècle qui soutenait la voûte de l'écurie à cette époque. Au fond à gauche, on distingue la porte de l’ancienne habitation, un demi-étage plus haut.

 

Au travers de la porte des convers, vue sur l’ancienne écurie, son pilier central. On remarque la forme de voûte imprimée sur le mur du XII°, trace de la construction postérieure (XVIII°). Noter encore la surélévation du sol par rapport au sol originel du XII° siècle.

 

Aujourd'hui

L'abbaye vit toujours, les vestiges sont préservés du temps qui passe et des intempéries par des jeunes venus du monde entier lors de chantiers. En 2012, les murs du choeur vont être abrités par une toiture,  permettant une meilleur conservation et la réalisation de fouilles archéologiques sous le pavement du choeur. La charpente, la couverture et la réhabilitation des murs seront réalisés par des chantiers collectifs. Les travaux permettront de mettre en place de nombreux stages: taille de pierres, initation charpente, charpente Philibert delorme.... Pour en savoir plus, par ici!